obligation de moyens vs obligation de résultat ? [post mis à jour le 18 octobre 2018]
Petit rappel sur l’obligation de moyens ou de résultat et ce qui est acceptable (ou non) par un client ou un prestataire en BtoB.
Et tant qu’on y est, jetons un coup d’oeil sur les notions de « garantie » et de « porte-fort » (ça va encore fâcher la grande distribution qui a parfois une interprétation très « personnelle » de certains concepts du droit civil…).
Obligation de moyens obligation de résultat : sans changement avec la réforme 2016 du droit des contrats !!!
L’Ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des obligations ne change rien sur le sujet.
Pour le dire autrement, le législateur n’a pas profité de cette révision complète du droit des contrats pour codifier la définition des obligations de moyens / de résultats, ni pour préciser la définition juridique de ce qu’est une garantie. Avant de rédiger votre contrat, il va falloir regarder la jurisprudence… [mise à jour du 18 octobre 2018] Bonne nouvelle !!! La loi de ratification du 20 avril 2018 (en vigueur depuis le 1er octobre 2018), qui entérine (enfin) définitivement l’ordonnance du 10 février 2016 n’a pas touché d’un iota le régime juridique ni de l’obligation de moyens, ni de l’obligation de résultat, ni le panachage contractuellement possible.
Obligation de moyens obligation de résultat : quelles références dans le [nouveau] Code civil ?
Le sujet (pré)occupant les plus grands penseurs du Droit depuis 1925 et jusqu’à ce jour, nous n’aurons ici pour prétention que de faire un rappel pratique de la distinction obligation de moyens / obligation de résultat.
Dans le Code civil version « avant la réforme du 10 février 2016« , cette distinction n’était posée qu’indirectement (art. 1147 et 1137) mais largement consacrée par la jurisprudence. Depuis la réforme, ces deux articles ont disparu. Plus aucun fondement légal donc. Reste la jurisprudence antérieure à la réforme qui prend aujourd’hui une importance toute particulière.
Pour s’y retrouver, il est plus simple de poser le débat en terme de preuve : qui doit prouver le non-respect du contrat ?
Obligation de moyens obligation de résultat : la preuve de la non exécution de l’obligation
Si le créancier de l’obligation (le client) n’a qu’à constater que le résultat n’est pas atteint par son prestataire pour pouvoir agir en responsabilité, l’obligation est de résultat.
Si la preuve de la non exécution doit être apportée par le client avant qu’il ne puisse agir en responsabilité contre le débiteur de l’obligation (son prestataire), l’obligation à la charge du client du prestataire (bien sûr ! Merci à M. Arthur Bosc) est de moyens.
Et dans les deux cas, « ...sans contester l’existence d’une obligation à la charge du client (payer le prix), qui sera évidement de résultat » comme le relève justement encore M. Arthur Bosc.
Les habitués des contrats dits informatiques comprendrons mieux le problème ainsi posé :
- si un prestataire s’engage à fournir un service avec « un taux de disponibilité de 99,7% par mois« , le fait de ne pas respecter cet engagement permet à son client de mettre en œuvre la responsabilité du prestataire. Tu n’as pas respecté ton engagement chiffré ? Tu n’exécutes donc pas correctement le contrat et tu es alors responsable des dommages que tu me causes par le simple constat de ton inexécution (partielle). Et sous réserve de la preuve de son préjudice, le client peut prétendre à des dommages-intérêts (ou aux sommes prévues dans la clause pénale…). Le parfum contractuel qui flotte dans l’air fleure bon l’obligation de résultat.
- lorsque le prestataire s’engage à faire son possible « conformément à l’état de l’art » ou « en bon professionnel » (par exemple pour corriger les bugs d’une application), il n’est pas certain d’y arriver. Il s’engage seulement à faire « ses meilleurs efforts » pour y parvenir. Ici, ça sent l’obligation de moyens à plein nez.
Pour le cas (pas forcément académique) où un prestataire n’accomplit pas du tout ses obligations (refus d’intervenir en maintenance par exemple), la solution jurisprudentielle est simple : une « inexécution totale » d’un contrat est présumée constituer le manquement à une obligation de résultat (voir par exemple Cass. soc., 30 nov. 1945 – Cass. Civ. 1ère, 18 janv. 1989 – Cass. Civ. 1ère, 16 mai 2006). Le client, créancier de l’obligation, n’a qu’à apporter la preuve que le prestataire n’a rien fait. Reste après à prouver le dommage qu’il subit pour demander indemnisation de son préjudice (et là, bon courage…). Le prestataire peut, pour sa part, toujours (tenter de) prouver avoir été victime d’un cas de force majeure.
[mise à jour du 8 juin 2016] Pour un exemple d’obligation de résultat ayant conduit un client à résilier le contrat de son prestataire, lire Cour d’appel de Paris, pôle 5 ch.11 – 13 mai 2016 « Maquinay / Mapaye »
Obligation de moyens obligation de résultat : écrire ou ne pas écrire ?
Il est possible de ne rien prévoir dans le contrat et, en cas de contentieux judiciaire, de laisser les juges trancher le problème. Après tout, le suicide juridique n’est pas interdit (seule l’incitation au suicide est un délit selon l’article 223-13 Code pénal). Mais une mauvaise surprise est garantie par le juge à l’une des parties…
Dans les contrats BtoB relatifs à des prestations complexes (hypothèse consubstantielle aux contrats de nouvelles technologies), le client comme le prestataire ont intérêt à clarifier le débat dans le document qu’ils s’apprêtent à signer.
Si un prestataire de service s’engage à accomplir les prestations à sa charge « dans le cadre général d’une obligation de moyens » (voir par exemple le jugement du TC Nanterre 2 mai 2014 concernant un contrat de licence + maintenance), cela veut dire que si la prestation n’est pas rendue, quelle qu’elle soit, il appartient au client d’apporter la preuve que le prestataire n’a pas fait correctement son travail. Il est facile de comprendre qu’un cabinet d’architecture ou une société de cosmétique ne saura (quasiment) jamais apporter la preuve positive d’un manquement de son prestataire d’hébergement. Il s’agit une variante du film Mission impossible en terme de preuve. L’obligation générale de moyens du prestataire est donc proprement inacceptable pour le client de toute prestation complexe.
A l’inverse, si le prestataire s’engage à accomplir les prestations à sa charge « dans le cadre général d’une obligation de résultat« , ce prestataire charge lui-même de six balles le barillet du révolver qu’il pose sur sa tempe avant même de travailler pour son client (pour les cinéphiles, voir Voyage au bout de l’enfer – Michael Cimino 1979). Une migration logicielle, le « débogage » d’une application, la fourniture d’un logiciel en mode SaaS n’est jamais parfait. Même les tribunaux admettent qu’un logiciel bugue parfois (c’est dire si cette réalité est aujourd’hui admise…). Et si un client fait signer cette clause à son prestataire, ce client ferait mieux de se demander pourquoi son prestataire accepte l’inacceptable (et de s’en inquiéter…).
Obligation de moyens obligation de résultat : et un panaché, un !
Si un prestataire s’engage contractuellement sur une donnée mesurable (temps de réponse, débit, volume, calendrier, etc.), il est clair qu’il accepte une obligation de résultat. Si cette mesure n’est pas respecté / atteinte, il commet une « « inexécution partielle » de ses obligations (il est en « manquement » pour les puristes de la responsabilité contractuelle).
Ce qui va apparemment sans dire va cependant beaucoup mieux en l’écrivant dans le contrat. Il est ainsi possible de stipuler que « tout engagement chiffré ou mesurable du prestataire » est une obligation de résultat à la charge de ce dernier.
A défaut d’avoir précisé quoi que ce soit d’autre dans le contrat, le juge serait alors tenté de déduire que les autres obligations à la charge du prestataire sont « de moyens ». Soyons honnète (oui, je sais, le terme fait sourire sous la plume d’un avocat) : le client pourra-t-il se contenter de ce traitement qui ne lui est guère favorable ? Pas sûr…
Alors, soyons fous et panachons les obligations de moyens et de résultat ! La liberté contractuelle permet ainsi de prévoir une « obligation générale de moyens renforcée » (le verre est – déjà – à moitié plein) ou une « obligation de résultat diminuée » ou « atténuée » (c’est moins vendeur, même si c’est pareil…) à la charge du prestataire.
Puisque le client aura du mal à apporter la preuve des manquements de son prestataire, ce dernier peut convenir que « Le PRESTATAIRE s’engage à accomplir ses obligations dans le cadre général d’une obligation de moyens renforcée, ne pouvant être exonéré de sa responsabilité qu’en apportant au CLIENT la preuve positive de son absence de faute (force majeure, fait d’un tiers, problème lié à l’infrastructure matérielle ou logicielle du CLIENT)« .
Dans cette clause, le prestataire est donc présumé responsable. C’est en réalité ce qui importe au client. Reste à savoir ce que vaudront les explications du prestataire à titre de preuve pour tenter d’échapper à l’indemnisation du dommage qu’il causerait à son client en ne « prestant » pas correctement…
Obligation de moyens obligation de résultat : pour suivre, un double panaché !
Liberté chérie du droit des contrats entre professionnels… Non seulement il est possible d’aménager contractuellement le régime général de l’obligation du prestataire, mais il est également possible de combiner une « obligation générale de moyens renforcée » avec – sur certains engagements précis – une « obligation particulière de résultat« .
A la clause précédente, on ajoutera par exemple :
Par dérogation à ce qui précède et de convention expresse des parties, le strict respect des jalons du calendrier contractuel constitue une obligation de résultat à la charge du PRESTATAIRE.
Obligation de moyens obligation de résultat : quelles garanties ?
Reste la notion de « garantie« . Les grands penseurs du droit, comme la jurisprudence, interprètent clairement la garantie (de disponibilité, de compatibilité ascendante, etc.) comme une obligation de résultat. Il appartient en effet au prestataire qui « garantit » un résultat de faire en sorte que le résultat soit atteint, quel qu’en soit le coût pour lui.
Mais attention, certaines garanties sont absolues, d’autres pas. Si le prestataire qui ne parvient pas à accomplir sa prestation peut se dégager de sa responsabilité en prouvant avoir été la victime d’une force majeure, alors ce bienheureux prestataire a accepté une obligation de résultat simple. Mais si ce même prestataire s’engage à garantir un résultat, même en cas de force majeure, il n’est plus un prestataire, mais un assureur (ou un candidat au dépôt de bilan…). On parle alors d’obligation de résultat « absolu ». ça existe (seulement dans les livres ?).
Obligation de moyens obligation de résultat : l’engagement de « porte-fort »
Terminons avec le trop méconnu « porte-fort« . Un engagement de porte-fort est – sans doute possible – également une obligation de résultat. C’est d’ailleurs ce que confirme la jurisprudence (Cass. com., 1er avril 2014). Celui qui se porte fort du respect du contrat par une autre partie payera (au sens propre du terme) le non-respect du contrat par ce tiers. C’était le sens de l’’ex-article 1120 du Code civil (« Néanmoins, on peut se porter fort pour un tiers, en promettant le fait de celui-ci ; sauf l’indemnité contre celui qui s’est porté fort ou qui a promis de faire ratifier, si le tiers refuse de tenir l’engagement« ) devenu 1204 [nouveau] Code civil :
On peut se porter fort en promettant le fait d’un tiers.
Le promettant est libéré de toute obligation si le tiers accomplit le fait promis. Dans le cas contraire, il peut être condamné à des dommages et intérêts.
Lorsque le porte-fort a pour objet la ratification d’un engagement, celui-ci est rétroactivement validé à la date à laquelle le porte-fort a été souscrit.
L’engagement de porte-fort est fréquemment utilisé lorsque le bénéficiaire d’une prestation veut en faire profiter les sociétés de son groupe qui ne signent pas directement le contrat avec le prestataire. Il est alors légitime pour le prestataire de demander à son client, signataire unique du contrat, de « garantir » le respect du contrat par les filiales du client.
Chers prestataires, n’hésitez pas à vous porter fort pour vos sous-traitants (par exemple, votre hébergeur). C’est la loi du 31 décembre 1975 sur la sous-traitance industrielle. Si ça fait plaisir à votre client, écrivez le lui !
Obligation de moyens obligation de résultat : lorsque la loi le dit
N’oublions pas les hypothèses où la loi règle le problème. C’est le cas par exemple de la loi n°2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique :
(article 15) Toute personne physique ou morale [qui propose ou assure à distance et par voie électronique la fourniture de biens ou de services] est responsable de plein droit à l’égard de l’acheteur de la bonne exécution des obligations résultant du contrat, que ces obligations soient à exécuter par elle-même ou par d’autres prestataires de services… Toutefois, elle peut s’exonérer de tout ou partie de sa responsabilité en apportant la preuve que l’inexécution ou la mauvaise exécution du contrat est imputable, soit à l’acheteur, soit au fait, imprévisible et insurmontable, d’un tiers étranger à la fourniture des prestations prévues au contrat, soit à un cas de force majeure.
Oui, le commerçant en ligne est tenu par une obligation de résultat à l’égard du consommateur ! Comme il s’agit d’une loi protectrice du consommateur, il n’est pas possible de déroger contractuellement à cette disposition… Ou alors la clause sera « réputée nulle et non écrite« …
En guise de conclusion, nous tenterons un « Dura contractus, sed lex » (c’est plus chic en latin) ou un plus modeste « Le contrat est dur, mais c’est la loi (des parties) » qui nous renverra à la lecture, toujours rafraichissante, de l’article 1103 [nouveau] Code civil : « Les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits« . Pour celles et ceux qui s’en souviennent encore, c’est une reprise (au masculin) de l’ancien article 1134.