Le droit du lien hypertexte ? Savez-vous vraiment dans quelles conditions vous êtes responsable des contenus vers lesquels pointe un lien hypertexte que vous intégrez dans votre site web à titre personnel ou professionnel ?
En d’autres termes, êtes-vous responsable de la fourniture dans votre site d’un lien hypertexte vers un contenu accessible sur le web sans le consentement du titulaire des droits d’auteur ?
Faisons un peu de technique avant de nous plonger (avec délectation…) dans la jurisprudence de la Cour de Justice de l’Union Européenne…
Nous étions nombreux, professionnels de l’édition en ligne ou simples blogueurs, à guetter la décision de la CJUE.
Et bien voilà, nous disposons d’un mode d’emploi (merci l’UE !).
Comme toujours, il faut d’abord s’intéresser à la technique pour bien appréhender juridiquement le sujet. Qu’est-ce qu’un lien hypertexte (ou lien http ou hyperlien) ?
Déjà, techniquement, c’est un système propre au protocole www (au web, donc), qui permet de passer de site en site, pour accéder directement à des « ressources » (terme technico-poétique désignant soit les contenus, soit les pages web auxquels on accède en cliquant sur un lien http contenant une URL).
Explications rapides avant les images dans le slider en fin de ce post.
Le lien http est techniquement neutre
En soi, le lien hypertexte est neutre : il n’est ni bon, ni mauvais.
Le lien hypertexte est à la fois le panneau de direction vers un contenu et le moyen de transport pour atterrir sur une page web (et son contenu).
Sa vocation purement technique est de permettre une navigation non linéaire, de point à point grâce aux URL.
Chaque lien hypertexte est unidirectionnel, fragile (il se casse si celui qui met le contenu à disposition modifie l’URL de sa « ressource » ou modifie le contenu de sa page web) et son créateur n’a techniquement pas de contrainte pour créer un lien sans le consentement (technique toujours) de l’URL ciblée.
Alors, me direz vous, où est le problème ?
Le droit du lien hypertexte : un conflit entre les principes du Net et du droit d’auteur
Une fois encore, il s’agit d’un conflit entre les principes du Net et ceux du droit d’auteur.
Les principes de liberté de la société de l’information (doit à l’information et liberté d’expression), comme celle de faire pointer un lien actif vers la « ressource » (la page web) d’un site (web), heurtent parfois le monopole d’exploitation du droit d’auteur, lorsque cette ressource (le contenu visé) a été rendu disponible sans le consentement du titulaire des droits.
Car les jurisprudences « Svensson » de 2014 et « GS Media » du 8 septembre 2016 sont avant tout des demandes fondées sur le droit d’auteur (encore un conflit avec les « ZéYAN DROITS » comme les surnomment les internautes sur les forums).
Il va donc falloir réviser la directive 2001/29 et rappeler les principes du Code de la propriété intellectuelle en France pour rappeler, si besoin est, que l’auteur (le titulaire des droits) dispose sur son oeuvre d’un monopole d’exploitation.
Et que toute mise à disposition d’un contenu protégé par le droit d’auteur, sans le consentement du titulaire des droits, « est illicite » (et pénalement sanctionné). Vous préférez lire « constitue une contrefaçon » pour que ce soit plus clair ? Ou un « acte de piratage » pour reprendre l’expression sensationnelle utilisée par les journalistes ?
Le droit du lien hypertexte : le critère de « communication » à un « public nouveau »
La première question posée à la CJUE était : « le créateur d’un lien hypertexte doit-il vérifier que le contenu vers lequel il fait pointer son lien est librement accessible ou non ?« .
Dans l’arrêt « Svensson » de 2014, la réponse était « si le contenu a été rendu librement disponible, le titulaire des droits ne peut pas imposer son autorisation préalable pour y accéder là où ce contenu est disponible librement« .
C’était simple et de bon sens.
Le droit du lien hypertexte : le nouveau critère du « but lucratif »
La présomption de mauvaise foi des éditeurs professionnels
Le raisonnement est le suivant. Puisque toi, prestataire, tu vises à faire des bénéfices en exploitant ton site web (accessible par abonnement payant ou parce qu’on y trouve de la publicité qui te rémunère), il t’appartient – comme à tout professionnel diligent – de vérifier que tu ne favorises pas la contrefaçon en donnant directement accès à des contenus accessibles sans le consentement du titulaire des droits.
Il s’agit d’une présomption simple (on dit « réfragable » en jargon poético-juridique) qui ne résistera pas à la preuve contraire.
Mais ce sera au professionnel d’apporter la preuve qu’il a agit de manière prudente, qu’il a été actif dans la recherche de « licéité » des contenus vers lesquels il fait pointer ses liens http.
Il faudra donc qu’il mette en place un mécanisme de validation de ses liens…
Pour celles et ceux qui s’intéressent au droit du logiciel, je vous rappelle que la jurisprudence pénale française présume de mauvaise foi le bénéficiaire d’une licence d’utilisation d’un logiciel jugé contrefaisant.
Allez lire « la commercialisation du logiciel » sur ce blog (libre d’accès et sans pub, donc édité « à but non lucratif » – j’insiste…), vous y trouverez la jurisprudence en question.
Mais cette jurisprudence là, qui ne touche que les utilisateurs professionnels de logiciel, n’a jamais fait hurler personne (alors qu’elle n’est pas moins incroyable que celle de la CJUE).
La présomption de bonne foi des éditeurs « à but non lucratif »
En sens inverse, et il faut s’en féliciter, ceux qui éditent « à but non lucratif » un site web (le présent blog en est un exemple) seront « présumés de bonne foi » même s’ils proposent des liens vers des contenus « non communiqué au public » par le titulaire des droits.
Car ceux qui ne font pas de bénéfices ne peuvent pas toujours savoir que les contenus vers lesquels ils dirigent leurs lecteurs sont (ou non) piratés.
Pour ces sites « à but non lucratif » qui fourniraient des liens http vers des contenus illicites, la charge de la preuve de la responsabilité liée à la fourniture du lien illicite pèsera sur le titulaire des droits : ce sera à lui de de prouver la connaissance de ce que le lien pointe vers un contenu dont il n’a pas autorisé l’accès sur le web.
Franchement, la solution vous parait illégitime ? Même sur le web, il faut être responsable de ses actes, ce qui impose plus d’obligations pour les professionnels que pour les « non rémunérés« .
C’est une tendance lourde du droit français depuis des années : le professionnel est « plus responsable » que le particulier consommateur. Il est parfois, comme dans cette jurisprudence, présumé responsable.
Le droit du lien hypertexte : et les sites « catalogue » pirates ?
[mise à jour du 14 septembre 2016] Les sites proposant des listes des liens permettant d’accéder à des contenus « sans autorisation des titulaires de droit » ont du mouron à se faire. Car ce sont eux les « victimes » principales de cette nouvelles jurisprudence. Je n’en connais aucun. Je n’en connais surtout aucun qui ne propose pas de publicité. Le « particulier » qui édite un site incluant de la publicité et qui propose « des » liens http vers des oeuvres piratées sera probablement présumé de mauvaise foi, cela me parait clair. Surtout si ces « propositions » de liens sont nombreuses, récurrentes, mises à jour, etc.
L’arrêt « GS Media » servira-t-il de nouveau fondement pour que les « zayants-droit » puissent obtenir le blocage judiciaire de ces sites de contrefaçon massive ? Doutez-vous vraiment de la réponse ?
Et… les moteurs de recherche ?
[mise à jour du 14 septembre 2016] Excellente question posée par Marc Rees dans Next INpact : quid de la responsabilité des moteurs de recherche, dont la fonction même est de proposer des liens http ? Et dont personne ne se sert (bien sûr) pour trouver des sites de téléchargement proposant des oeuvres « communiquées au public » sans autorisation des titulaires de droit d’auteur… Ce sont des algorithmes qui travaillent à l’indexation des contenus et des URL : leurs éditeurs seront-ils présumés de mauvaise foi ? Cela ne fait aucun doute à la lecture de l’arrêt « GS Media ». Effectivement, ça va poser des problèmes…
Ce qui est bien avec le droit des nouvelles technologies, c’est qu’on ne s’ennuie jamais.
La présentation complète en BD sur le droit du lien hypertexte est dans le slider ci-dessous
[wonderplugin_gallery id= »100″]
Encore MERCI à Sandrine CHATELIER et Emmanuel BOUTEILLE des éditions Akiléos et à Vincent Brugeas et Ronan Toulhoat, auteurs de “Chaos Team” d’avoir bien voulu prêter leurs personnages pour cette présentation. Qu’ils soient tous remercié pour le droit de détourner les phylactères de la BD originale. A priori, ce seront ces mêmes personnages qui animeront ma prochaine présentation sur le dark web (ça fait peur, non ?) et les Darks Net. A moins que ce ne soit avec ceux du « Roy des ribauds » des mêmes auteurs (ma demande officielle en ce sens est en cours d’étude chez Akiléos).
Le droit du lien hypertexte : pour aller plus loin
CJUE aff. C‑466/12 « Svensson » 13 février 2014
CJUE aff. C‑160/15 « GS Media » 8 septembre 2016
Directive 2001/29/CE du 22 mai 2001 sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information
Code de la propriété intellectuelle (article L.122-1 à L.122-12 sur les droits patrimoniaux)
Le droit du lien hypertexte : quelques articles de presse
Quand la CJUE allume la dynamite des liens hypertextes illicites – Next INpact 13 septembre (article éminemment critique sure cette décision – critique que je trouve exagérée mais bon…)
Quels sont les liens hypertextes légaux ou illégaux ? On résume tout – Numérama 9 septembre 2016
CJUE : un lien vers un contenu illégal peut engager votre responsabilité – ZDNet 8 septembre 2016
La CJUE juge qu’un lien vers un contenu illégal peut être illégal – Next INpact 8 septembre 2016